Sur l’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 et du Règlement « Bruxelles II bis »
Civ. 1ère, 17 janvier 2019, n° 18-23849, en cours de publication
La Cour de cassation a rappelé, par un arrêt du 17 janvier 2019, qui sera publié au Bulletin, que la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ne peut être appliquée lorsque l’État à partir duquel l’enlèvement international d’enfant allégué a eu lieu n’est pas un État ayant adhéré à la Convention.
De même, elle rappelle que le Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit « Règlement Bruxelles II bis », ne peut pas être appliqué lorsque les enfants avaient leur résidence habituelle dans un État tiers à l’Union européenne.
Il faudra alors (malheureusement) appliquer les règles de droit commun, bien moins efficaces que celles prévues par la Convention et le Règlement, ce qui supposera de s’adresser, outre aux autorités diplomatiques français, aux autorités locales de l’Etat au sein duquel les enfants auront été déplacés.
L’exception au retour accueillie par la Cour de cassation fondée sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980
L’exception accueillie en raison du risque grave de danger physique ou psychologique pour les enfants
Cass, Civ. 1ère, 27 juin 2019, n°19-14464, publication à venir
Par un arrêt en date du 27 juin 2019, la Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l’article 13, b, de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 qu’il ne peut être fait exception au retour immédiat de l’enfant que s’il existe un risque de danger grave ou de création d’une situation intolérable, et que les circonstances doivent être appréciées en considération primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant, selon l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989.
Le père avait saisi l’autorité centrale luxembourgeoise d’une demande de retour lorsque la mère avait déménagé en France avec l’enfant. Le procureur de la république avait assigné la mère de l’enfant devant le juge aux affaires familiales afin que soit ordonné le retour immédiat de l’enfant au Luxembourg. Les juridictions luxembourgeoises avaient postérieurement jugé que la résidence de l’enfant devait être fixée au domicile du père au motif que ce dernier disposait de capacités éducatives et n’avait pas, contrairement à la mère, agi au détriment de l’intérêt de l’enfant.
La cour d’appel avait rejeté la demande de retour sur le fondement de l’article 13 de la Convention du 25 octobre 1980, car elle avait considéré, contrairement à l’appréciation faite par le tribunal luxembourgeois, que des risques psychiques pèseraient sur l’enfant si son retour au domicile du père était ordonné.
La Cour de cassation approuve cette solution en rappelant que les juges du fond français n’étaient pas tenus par les motifs de la décision luxembourgeoise. Ils étaient fondés à refuser de faire droit au retour de l’enfant dès lors qu’il ressortait du rapport d’expertise pédopsychiatrique (réalisé avant la saisine du juge français par le Procureur de la République) et du compte rendu de consultation du médecin des urgences pédiatriques, non seulement que l’enfant était maltraité et apparaissait agité, agressif voire suicidaire à l’idée d’aller vivre chez son père, mais en outre qu’il avait des hallucinations auditives et visuelles.
La Cour de cassation apprécie très sévèrement les exceptions au retour fondées sur l’article 13, b), de la Convention de La Haye, afin de garantir les objectifs recherchés par la Convention et ne pas permettre aux parents de faire systématiquement échec aux demandes de retour formées par l’autre en arguant du risque grave que l’autre parent ferait courir à la santé psychique ou psychologique de l’enfant.
Cependant, la solution posée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 27 juin 2019 est importante, puisque la Haute Cour affirme que les juges français ne sont pas tenus par l’appréciation faite par les autorités judiciaires ou administratives de l’État au sein duquel l’enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement.
Le dernier alinéa de l’article 13 de la Convention du 25 octobre 1980 sur les enlèvements internationaux d’enfants prévoit pourtant que :
« dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale ».
Cour de Cassation
Il faudra donc que le juge français tienne compte des informations qui lui ont été fournies par les autorités de l’État de la résidence habituelle de l’enfant, sans qu’il ne soit tenu par l’appréciation qui aura été faite par ses homologues étrangers quant au risque qui existe pour l’enfant.
La Cour de cassation a précédemment, par un arrêt en date du 20 mars 2019, donné une illustration de la prise en compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant en ordonnant le retour de l’enfant malgré l’exception soulevée par la mère fondée sur l’article 13, b), de la Convention, en s’appuyant sur la mesure d’investigation et l’audition des parents ordonnées par le juge suisse (Civ. 1ère, 20 mars 2019, n°18-20850, inédit, voir notre commentaire).
L’exception accueillie en raison du risque encouru par le parent auteur du déplacement et ses conséquences potentiellement négatives pour l’enfant
La Cour de cassation a par ailleurs rendu plusieurs décisions aux termes desquelles elle examine, à l’aune de l’intérêt supérieur de l’enfant, les sanctions qui seraient susceptibles d’être prononcées par le parent ayant commis le déplacement illicite si le retour de l’enfant (et donc de son parent était ordonné).
Civ. 1ère, 14 février 2019, n°18-23916, inédit
La résidence des enfants avait été fixée au domicile de la mère aux termes d’une décision rendue par la cour de district de l’Idaho (États-Unis). La mère s’était ensuite rendue en France avec les enfants, où elle avait refusé de rentrer aux États-Unis.
Le père avait saisi l’Autorité centrale américaine d’une demande de retour fondée sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, qui avait saisi son homologue français, ce qui avait conduit le ministère public à assigner la mère devant le juge aux affaires familiales.
Parallèlement, un mandat d’arrêt avait été délivré à l’encontre de la mère, de telle sorte qu’elle était susceptible d’être arrêtée si elle entrait sur le territoire américain.
La cour d’appel de Paris avait, aux termes d’un arrêt rendu le 2 octobre 2018, refusé de faire droit à la demande de retour, en rappelant que l’autorité judiciaire de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant lorsque la personne qui s’y oppose établit qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique.
Par un arrêt rendu le 14 février 2019, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le père. Elle approuve en effet les juges d’appel d’avoir considéré que le retour des enfants les exposerait à un risque grave de danger physique ou psychique en raison de l’alcoolisme du père et des troubles dépressifs et suicides dont il souffrait, ce qui le rendait « très irritable » envers ses enfants.
Elle relève que l’un des enfants, victime de sévices de la part de son père, présente des signes d’anxiété majeurs, et que le second, très fragile, présente d’importants troubles du comportement, notamment d’anorexie, qui nécessitent des soins hospitaliers. Elle considère enfin que l’enfant le plus jeune, âgé de deux ans, porte également les stigmates d’une exposition à la violence du père.
Or, si le retour des enfants aux États-Unis était ordonné par le juge français, la mère risquait, en raison du mandat d’arrêt délivré à son encontre par les autorités américaines, d’être arrêtée, l’empêchant ainsi « d’assurer », selon les termes de la Haute Cour, « l[a] protection » des enfants, puisque les enfants risquaient de se voir confier à leur père, qui ne produisait par ailleurs « aucun élément justifiant de son engagement de maintenir les liens entre la mère et les enfants ».
Elle refuse donc de faire droit à la demande de retour formée par le père, dont le maintien des enfants à sa résidence était compromis par le mandat d’arrêt délivré à son encontre.
Civ. 1ère, 22 novembre 2018, n°18-20546, inédit
La mère de l’enfant, né à Tokyo, avait revenue en France pour un séjour censé être temporaire, au cours duquel elle avait déposé une requête afin de divorce devant le juge aux affaires familiales français.
Le père avait saisi l’autorité centrale japonaise d’une demande de retour au Japon sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, à laquelle avait fait droit à la Cour d’appel de Montpellier, en considérant que la mère ne démontrait pas qu’elle se trouvait dans l’impossibilité de retourner et de séjourner sur le territoire japonais et d’y raccompagner l’enfant.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, en jugeant que :
« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, en cas de retour de la mère avec l’enfant au Japon, cette dernière n’allait pas se trouver privée de ses droits parentaux, exposant ainsi son fils […], âgé de trois ans et ayant toujours vécu auprès d’elle, à un risque grave de danger psychologique, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Cour de Cassation
La Haute Cour considère donc qu’il appartenait aux juges du fond de vérifier que les conséquences potentiellement encourues par le parent ayant déplacé l’enfant (d’une façon ayant été jugée illicite par l’État requérant) ne risquaient pas de priver l’enfant de ce parent et donc de contrevenir à l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’accueil à la demande de retour de l’enfant : absence de preuve du risque grave de danger en cas de retour de l’enfant
Civ. 1ère, 20 mars 2019, n°18-20850, inédit
La Cour de cassation a, une nouvelle fois et par un arrêt du 20 mars 2019, refusé de faire droit à une exception de retour fondée sur l’article 13, b), de la Convention de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants au motif que le retour immédiat de l’enfant l’exposerait à un risque de danger grave ou de création d’une situation intolérable pour lui.
Après que la mère eut déménagé en France avec l’enfant, le père avait saisi l’Autorité centrale suisse d’une demande de retour fondée sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Le Procureur de la République avait assigné la mère devant le juge aux affaires familiales pour voir déclarer illicite le déplacement de l’enfant et ordonner son retour.
La Cour de cassation rappelle, de manière classique, qu’il résulte de l’article 13, b, de la Convention de La Haye qu’il ne peut être fait exception au retour immédiat de l’enfant que s’il existe un risque de danger grave ou de création d’une situation intolérable pour l’enfant.
Elle considère que les allégations de délaissement ou de défaillances paternelles dénoncées par la mère ne sont pas corroborées par les pièces versées aux débats. Elle note que les juridictions helvétiques, après une mesure d’investigation et l’audition des parents, ont estimé nécessaire d’interdire à la mère d’établir le domicile de l’enfant en dehors de la Suisse. Elle relève qu’il ressort de la mesure d’expertise effectuée en Suisse que la mère, qui est à l’origine du départ brutal juste avant la mise en place progressive des nuitées de l’enfant au domicile paternel, ne peut se prévaloir du risque grave pour l’enfant d’être séparée d’elle, sans avoir vécu chez son père ; que la liberté d’aller et venir de la mère doit se conjuguer avec l’intérêt primordial de laisser s’épanouir la relation entre le père et l’enfant. La Cour de cassation approuve donc la Cour d’appel, statuant en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’avoir ordonné le retour de l’enfant en Suisse.